Benjamin Forel, metteur en scène de la Troupe du levant - Lyon

Publié le par nouvellesrepliques

Nouvelles Répliques – Bonjour Benjamin Forel, parlez nous de votre Compagnie


Benjamin Forel – Je voudrais rectifier le terme « Compagnie » et lui préférer celui de « troupe », le mot est important ; on avait cette image que la compagnie est souvent l’outil d’un metteur en scène, ce n’est pas ce qu’on souhaitait faire. On voulait faire une coopérative où la cie est l’outil de ceux qui travaillent dedans. La  Troupe du levant, ce n’est pas seulement mon outil, c’est aussi celui des 17 personnes qui travaillent à l’intérieur. Tous les comédiens qui entrent dans la troupe n’entrent pas que pour participer à un projet, à un spectacle, ils entrent pour participer à une histoire.

La plupart des membres sont là depuis le début (actuellement on commence le travail sur le 5ème spectacle ensemble). Ce sont les mêmes comédiens sur tous les spectacles. Ils ont tous un rôle en dehors du plateau, en dehors de leur simple rôle d’acteur. Comme la troupe est aussi leur outil, il faut qu'elle soit à l’image de ce qu’ils souhaitent, donc il faut qu’ils travaillent à l’administratif, à la logistique, à la technique. Ils sont membres d’une troupe, et c'est ainsi que nous l'entendons.

Dès notre création, ces principes sont ancrés dans notre charte, dans nos statuts. C’est un acte artistique quotidien. Ce n’est pas seulement un metteur en scène qui selon son projet invite un comédien pour faire un monologue, ou bien 10 comédiens pour un autre projet. Nous on sait qu’à chaque fois qu’on commence des répétitions, le spectacle doit nourrir toutes les bouches de la troupe. Dans ce mot troupe il y a vraiment l’idée d’une histoire collective qui s’écrit. Toute personne qui entre dans la troupe sait qu’elle va devoir participer à l’écriture de cette histoire et pas simplement venir faire son métier de comédien et repartir le soir.


NR - La genèse de cette troupe ?


BF - Elle est née il y a 4 ans, fin hiver 2008. On était 5/6 personnes. On s’est retrouvés dans une friche pour faire du théâtre dans un premier temps. On n’avait pas de nom de compagnie, on n’avait pas encore décidé du texte du prochain spectacle. On s’est mis à travailler ensemble, puis au fur et à mesure des répétitions, est né le nom de la troupe. On a voulu mettre en place très vite une particularité : l’envie de faire de grands spectacles. Dans le mot troupe il y a le mot « trop », donc l’idée d’être nombreux, nous y tenons.  On a très vite décidé d’occuper de grands espaces. Notre première aventure est née sur le parking de la friche Rvi, métamorphosé en espace théâtral. Nous voulions avoir la liberté artistique de nos envies théâtrales. La seconde création de notre troupe (Mesure pour Mesure de W.Shakespeare) a été créée dans cette idée, dans le grand réfectoire de l’Hôtel dieu à Lyon. On y a reconstruit un théâtre pendant plusieurs semaines.

Nous recherchons des cadres inhabituels. Ça n’empêche pas pour autant la diffusion en lieux institutionnalisés, mais nous sommes attachés à créer où on veut, quand on veut, et dans le rapport au public que l’on veut. Rendre possible ces occupations de lieux atypiques réclame l’investissement de toute la troupe, cela réclame un engagement en temps et en énergie conséquent. Il faut construire le théâtre, le protéger et le démonter. Ça demande un engagement très important, l’énergie de la troupe est plus que nécessaire.


NR - Comment prenez vous  la température de l’entité troupe dans le paysage contemporain théâtral, que pensez vous des jeunes troupes aujourd’hui ?


BF - Je pense qu’on va  revenir à ces logiques de troupes de toute façon. On sent bien que le statut d’intermittent est à bout de souffle, on sent que la mutualisation des énergies et des compétences, c’est quelque chose à laquelle il va falloir revenir. On va dans deux extrêmes : soit une explosion du one man show et du café théâtre, leur rapidité, ça va très vite, soit inversement, des projets de plus en plus collectifs et nombreux qui mutualisent les lieux de stockage, les équipes. On sent qu’on retourne à ces deux pôles. Ce n’est pas encore répandu dans le fonctionnement habituel, mais on va y revenir.


NR - Est-ce un phénomène positif ? En tant que jeune créateur, vous vous inquiétez de ça, vous anticipez ?


BF -Oui, on anticipe, le théâtre existe depuis des millénaires, ce n’est pas un gouvernement ou un autre qui le fera s’arrêter. C’est à nous artistes de bien comprendre la situation. Unis, on est toujours plus forts, vis-à-vis d’une politique gouvernementale ou une autre. Ça passe au delà de l’artistique, le mot troupe du coup pour nous est très important. Ça permet de s’entraider, et de mutualiser les forces de recherches de contacts et de partenariats. Si ce mois ci j’œuvre peu pour la troupe, je sais qu’un de mes camarades l’aura fait. C’est une équipe soudée. Je crois que dans la société d’aujourd’hui, face à l’individualisme qui s’inscrit, être une troupe c’est déjà une manière de lutter, de présenter aux spectateurs un travail de groupe, une vie de troupe au dessus d’un projet, ça donne une envie aux spectateurs de se rassembler pour être plus fort.


NR -Ces propos m’évoquent la période du théâtre universitaire des années 70-75, est-ce que vous y puisez des modèles, des références ?


BF - Oui, c’est complètement assumé. Nous avons des figures, des modèles, on côtoie de loin Ariane Mnouchkine, on ne cache pas la filiation qu’il y a avec cette dame, dans le principe de fonctionnement d’une troupe. Il ne s’agit pas de faire la même chose, car le théâtre des années 70 n’est pas le même que celui d’aujourd’hui. Le théâtre est plus fort quand les acteurs sont unis. La création collective est au quotidien chez nous, nous partageons ensemble, pour porter une parole humaniste et poétique, et aller à la rencontre des spectateurs pour leur présenter notre histoire.

 

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NR -Quel est votre regard sur l’institution (c'est-à-dire l’école et l’état des Scènes nationales aujourd’hui) ?


BF -Je ne combats pas l’institution. Comme beaucoup de maîtres avant nous, je considère que le théâtre est un service public, donc il doit répondre aux demandes de certaines institutions ; on ne peut pas travailler sans. Ce serait malhonnête d’occuper des espaces publics et de dire que nous ne sommes pas liés au fonctionnement du service public. Nénamoins la Troupe du levant n’est pas et ne doit pas devenir une institution. Je regrette par exemple qu’un directeur de CDN soit contraint de créer une création minimum par an, qu’advient-il si son projet prend plus de temps ? Je crois que le théâtre institutionnel est celui qui s’est privé des libertés complètes, totales de la création.

Le théâtre est un service public. On en fait parce qu’on a une parole à porter, il doit être donné à la population entière. Pour nous, le choix de lieux atypiques fait partie de ce combat.

A Lyon, il y a un système de Scènes Découvertes, c’est une très bonne initiative, mais qu’advient-il après cette diffusion des jeunes troupes ? Cet outil ne suffit pas, puisque les programmateurs, les directeurs de théâtre ne s’y déplacent quasiment pas.

C’est très difficile pour les jeune cies de passer à l’étape d’après.

  

NR – Parlez nous de votre parcours, de la fondation de la Troupe


BF - J’ai 26 ans, j’ai commencé à faire du théâtre très vite, j’ai eu la chance, au lycée à Décines, de rencontrer Sarkis Tcheumlekdjian  , professeur à l’Ensatt ( et cie Premier acte). J’ai un bac S, et mon bac en poche, Sarkis m’a proposé de devenir son assistant, j’ai mis un terme à mon inscription en fac de biologie pour me consacrer au Théâtre. C’est en faisant du théâtre que j’ai eu envie d’en faire.

Je me suis d’abord essayé à deux créations aux Scènes Découvertes. J’ai senti très vite qu’il me manquait cette épopée, cette aventure, d’être nombreux. Il me manquait cette folie qu’ont pu avoir après 68 tous ceux du théâtre universitaire, les Atp…

J’ai réuni quelques amis comédiens. J’ai su très vite que je ne serai pas comédien, que ma place n’était pas là, j’avais peut-être plus de choses à dire en tant que metteur en scène.

Le rêve s’est construit « Une troupe ça commence par un rêve » Mnouchkine reprenant Copeau

Aujourd'hui la Troupe du levant est à un tournant, notre cycle Shakespeare est fini.

Nous avons procédé à un stage pour renouveler nos équipes de comédiens car certains sont partis. Les personnes nous font confiance, les partenaires institutionnels aussi. Ça nous encourage, et cela nous donne la responsabilité d’écrire des histoires qui s’adressent à tous.

Nous partons bientôt 6 semaines en résidence de création au Théâtre du soleil. Ils nous font confiance, nous connaissent un peu. Ils nous font ce cadeau. Occuper des espaces publics, c’est bien, mais on souffre du manque de lieu fixe. On est amenés à se déplacer, on voyage beaucoup, ça nous amène à avoir une vie ensemble, ça nous apporte beaucoup, mais du coup, on est heureux aussi de pouvoir se rassembler dans le même lieu pendant quelques semaines, pour créer.


NR – Allez-vous à la rencontre des émergences locales ?


BF- Notre manière de rencontrer les émergences locales, c’est ces espaces de stage qu’on organise, nous invitons les comédiens à nous rejoindre pour travailler avec nous, c’est à cette occasion que nous faisons des rencontres.

Publié dans Interviews

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